poèsie en liberté

Bien qu'ayant fait partie d'une de mes nombreuses préoccupations en tant que mère de famille, préparer un repas ne figure plus parmi mes occupations régulières, encore moins favorites.

Il m'arrive cependant d'avoir une soudaine envie de faire plaisir ou de vouloir me montrer à la hauteur lorsqu'un tel défi se présente. Prise alors d'une frénésie toute juvénile j'oublie tous les principes élémentaires d'une bonne préparation et me jette toutes manches retroussées sur mes maigres ustensiles.

Mes effets personnels en terme de batterie de cuisine sont en effet aussi restreints que mes connaissances. Disposant en tout et pour tout de trois casseroles, deux poêles et un moule à gâteaux je pars ainsi au combat la fleur au fusil mais très légèrement pourvue.

Et c'est sans compter le contenu de mon réfrigérateur et de mes placards qui par manque d'attention se retrouvent eux aussi trop souvent dépourvus de vivres. Ainsi se présentent les coulisses de ma cuisine qui par manque d'applaudissements quotidiens ne s'animent que deux ou trois fois la semaine.

Ce soir-là néanmoins, j'avais réellement envie de te plaire et ma mémoire venait de me lancer cet improbable message : tu adorais le gâteau de semoule. Soit. Quand mon esprit se fixe ainsi vers une piste aussi précise, je ne discute plus et me plie généralement à ses directives.

Et c'est ainsi que j'ai commencé par mettre du lait à bouillir. J'avais en tête ce vague souvenir : ce gâteau n'était ni plus ni moins qu'une sorte de purée de semoule sucrée et la purée je connaissais.

Je me saisis ensuite d'un paquet de semoule et de ma cuillère en bois. Ne disposant d'aucun bac verseur ni unité de mesure d'aucune sorte, les proportions d'ingrédients que j'utilise en cuisine sont par défaut très approximatives.

L'esprit confiant je commençai à verser doucement ma semoule dans le lait en tournant bien régulièrement et fermement comme me l'avait appris ma maman. Ne constatant rien de très révélateur dans ma casserole j'entamai un deuxième paquet de semoule. Face à ce troublant mélange ne semblant vouloir prendre je décidai de tout remettre à chauffer.

Et c'est à ce moment-là que ton SMS fit vibrer mon portable. Tu arrivais dans un petit quart d'heure. Je pris la casserole trop vite réchauffée de la main droite et de la main gauche je versai nerveusement tout le contenu de mon deuxième sachet de semoule dans ce drôle de magma qui semblait enfin un peu plus consistant.

Il me fallut peu de temps pour réaliser que tout était raté mais bien plus pour l'accepter. Ainsi ayant depuis peu récupéré de petits moules individuels, je choisis de diviser la pâte devenue on ne peut plus compacte en moindres portions.

Afin d'améliorer encore le rendu de cette catastrophe, je décidai de préparer un petit caramel. Un caramel qui ne manqua pas de mettre le feu à la casserole et de déclencher par ricochet le tout nouveau détecteur de fumée que tu m'avais installé.

Quand tu as ouvert la porte tu n'as pas pu, pas tout de suite, me distinguer, perchée que j'étais sur une chaise, le balai à la main, et j'en fus reconnaissante au nuage de fumée qui avait envahi la maison.

Après avoir fait taire le détecteur qui rendait l'accueil un peu trop sonore, et ouvert en grand la fenêtre de la cuisine, je suis allée t'accueillir le sourire aux lèvres et le feu aux joues.

Et pour finir, lorsque je t'ai apporté ce qui ne ressemblait que très vaguement à ton dessert préféré,  tu as eu la gentillesse de me poser cette question : "Tu as mis du lait quand même ? " "Eh oui !" Ai-je répondu. Puis, ayant enfin réussi à finir une bouchée de cet insolite conglomérat de croûte de sucre et pâté de semoule, tu as ajouté : "Il doit y avoir trop de semoule alors". Le fou rire qui fit suite à ton implacable logique nous laissa tous les deux intimement liés à mon tout nouvel exploit.

Depuis, je n'ai plus jamais réessayé de te faire un gâteau de semoule.

Il faut dire que tu ne me l’as plus jamais demandé non plus.

Martine