Confinement
jour 1
A compter de midi, nul ne pourrait sortir de chez lui sans une attestation sur l'honneur justifiant d'une nécessité absolue. « Restez chez vous » était une consigne claire qui serait sanctionnée. Nous nous étions crus longtemps plus libres que les oiseaux. C'était une erreur. Les forces de l'ordre se déployaient sur le territoire. La promulgation du virus devait être enrayée. Tous les contacts sociaux étaient rationnés. Nous perdions en quelques heures ce qui faisait le sel de notre existence et dont nous avions à peine conscience. Et les oiseaux, eux, continuaient de chanter.
jour 2
Par chance le soleil était toujours présent. Quelques tondeuses remplissaient le silence torturant des rues désertées. Bourgeons et pâquerettes tranquillement continuaient de converser se frottant à l'herbe haute. Les chats poursuivaient leur ronde, assurés de leur suprématie, allongés et sereins tels des sphinx égyptiens. La nature ne subissait aucune consigne de sécurité. Elle clamait son épanouissement. Quelle revanche éclatante en ce début de siècle marquée par le déclin programmé de notre paradis terrestre.
jour 3
J'ai découvert que j'avais un jardin qui nécessitait quelques soins. Alors j'ai rangé ma chaise longue pour faire l'inventaire des mes outils de jardinage. J'ai trouvé une petite pelle et j'ai entrepris de déterrer les pissenlits qui bordaient la terrasse. J'ai croisé quelques vers de terre un peu apeurés par ma soudaine ardeur. Je les ai déplacés plus loin pour qu'ils retrouvent leurs copains. J'ai coupé quelques ronces qui envahissaient ma haie et me suis rendue compte que mes gants n'étaient plus étanches. J'ai quelque peu maudit ma petite taille et mes muscles endormis. Voltaire au loin se réjouissait. Je venais enfin de l'entendre.
Jour 4
Mes crayons n'arrêtaient pas de geindre. Depuis le lever du jour ils étaient en pleine révolution au fond de leur tiroir. " Sors-nous de là ! Nous aussi on veut notre quart d'heure de promenade. On n'est pas des chiens ! ». Je leur ai répliqué du loin de mon mètre de distance : « Justement, vous ne rentrez pas dans la case, restez-chez vous ! ». Dans l'après-midi, comme ils criaient d'avantage que les enfants des voisins, je les ai alignés tous au soleil sur la terrasse. A la tombée du jour, tous avaient joué le jeu. Seul le rouge n'a pas réussi à ravaler sa colère. Alors j'ai été obligée de le menacer : « Gare au taille-crayon toi ! ».
Jour 5
J'ai parfois l'impression de dérailler un peu. A force de passer la toile, mon carrelage ressemblerait presque à une patinoire. Je regarde le calendrier d'un œil suspect. Le printemps est bien là. Les oiseaux aussi. Que s'est-il passé ? J'étais partie pour nettoyer la salle de bain, l'éponge est restée dans la baignoire. Je voulais sortir marcher un peu, j'ai mis les clés dans ma poche droite. Arrivée au premier virage j'ai senti qu'il me manquait quelque chose. J'avais franchi la frontière sans dérogation. Alors je suis remontée prendre l'éponge et la baignoire m'a dit « pourquoi tu as mis ton manteau ? »....
Jour 6
Cet après midi c'est le chat du voisin qui miaulait sous le soleil de mon canapé. Il s'installe sur mes coussins comme un Petit prince, sans prévenir. Il m'a énervé avec ses yeux d'enfant gâté. "Je m'occupe, moi, de choses sérieuses ! ». Voilà tout ce que je lui ai dit. Il m'a répondu : « Tu parles comme les grandes personnes ! ». Puis il est reparti la queue haute me laissant à mon désert et à mes avions échoués.
Jour 7
Je suis sortie sous le soleil de mon kilomètre autorisé. Je n'ai croisé qu'un facteur à bicyclette et deux éboueurs, ces petits morceaux de mammouth qu'il s'agissait de ne pas trop engraisser, pour rester polis... ces privilégiés que pourtant l'on commence à applaudir. Mais comme j'avais déjà les mains pleines de gratitude, et de pissenlits inconnus, pourquoi le nier ... je leur ai juste dit « bonjour ! ».
Jour 8
Je voulais envoyer un bouquet à ma mère, je me suis trompée de touche et elle est tombée sur mon journal. Je l'ai entendue crier « tu ne changeras jamais ! Prends plutôt exemple sur l'aîné qui se bat 12 h par jour pour sauver l'économie française ». Je lui ai répondu « maman, j'arrêterai de fumer le jour où mon frère arrêtera de fantasmer sur ses secrétaires tout en triturant les bourses étrangères ! ». Heureusement le Réseau a coupé le fil de notre conversation. C'est un peu comme si le ciel, parfois, rattrapait un peu mes débordements. Alors voilà, très bel anniversaire maman. Mais oui je t'aime quand même. Tu m'entends ? Ah, ça y est, elle me rappelle...
Jour 9
J'ai enfin retrouvé mon petit kit de survie. Je suis tombée dessus par hasard comme sur un poème que je croyais oublié. La famille, les amis dans mes poches, du soleil pour l'éveil, de l'eau sur ma peau, un peu de crème dans les pâtes. Et puis des pas et des mots. Des pas encore et des mots à venir, des endormis, des retrouvés dans la salle des pas perdus, des pas d'hier qui me reviennent, de ceux qui ne s'effaceront plus et de ceux que je n'ai pas encore goûtés
Jour 10
Ce matin, je voulais tondre ma pelouse, l'andouille m'a opposé son droit de retrait. Elle réclame un masque homologué. En fait, je pense qu'elle a paniqué un peu face à la disparition soudaine des pissenlits. Je l'ai autorisée à pendre quelques RTT auprès du taille-haie. Mais comme l'herbe était vraiment haute, j'ai activé mon réseau. Une demi-heure plus tard, j'entendais le moteur d'une camionnette qui ne m'était pas inconnue. C'était l'ami de l'autre rue. Les yeux un peu taquins, il a sorti son engin puis a pris le relai avec une efficacité décuplée. Bravo le martien !
Jour 11
Je me suis levée en plein désordre. Mon corps voulait encore mais ma tête refusait de suivre. Un jour à se poser au soleil sans plus chercher à réfléchir. J'ai éteint tous mes écrans et j'ai écouté le chant des oiseaux. Leur discussion était si vive et si gaie. En fermant les yeux j'ai vu deux enfants courir dans un jardin. J'ai voulu chanter le printemps avec eux, comme autrefois, dans la grande maison bordée de rosiers. Je me suis laissée surprendre. Les larmes sont montées, doucement, comme cette tension qui gonflait par vagues au dessus des haies, noyant les rires des plus jeunes, amplifiant les souffrances des plus faibles et des plus âgés. Comme de petits morceaux d'angoisse que mon cœur ne pouvait plus contenir. Il faut laisser couler ce que le temps viendra sécher. Voilà tout ce mon crayon a bien voulu noter.
Saisons
Je suis de toutes les saisons, la fraîcheur des printemps, la langueur des automnes. Je suis ce roseau penchant et le chêne l’abritant. Je suis l’ardeur des étés et la froideur des hivers. Je suis de toutes les saisons, fidèle au vent léger, rebelle au temps passé. L’orage qui gronde au loin et l’eau qui doucement s’écoule sous mes pieds. La lave expulsée et la neige cristallisée. Je suis de toutes les saisons, fidèle au vent léger, rebelle au temps passé. Je suis le nuage qui court, le brouillard qui s’installe, la feuille qui tombe et l’oiseau qui se pose, la rosée qui se forme et la glace qui se brise. Je suis de toutes les saisons, j’ai la légèreté du flocon et la rudesse du rocher, la douceur de la mousse, la noirceur du corbeau.
Je suis de toutes les saisons, celle des moissons et celle des vendanges, le pain que l’on tranche et le vin que l’on tire. J’ai l’humidité d’une aquarelle et la rugosité d’une huile séchée. Je suis l’ombre qui se pose, le jour qui se lève, je suis le rapace qui guette, le lièvre qui fuit, je suis la pluie et le beau temps, arc-en-ciel de nuances entre ciel et terre. Je suis de toutes les saisons fidèle au vent léger, rebelle au temps passé. Je suis la pleine mer et toutes ses marées basses, je suis moitié blanche, moitié noire, un soupir entre deux croches, l’espace qui relie deux vides. Je suis du couchant et du levant, du Nord et du Sud, de l’axe qui s’incline, de cette perpétuelle rotation, de la ronde des heures, de la course des aiguilles. Je suis de toutes les saisons, de la porte qui claque à la fenêtre qui s’ouvre, d’une larme de joie au sanglot du remord, je suis le haut des cimes et le creux des vallons, la tendresse du pastel et la force d’une sanguine. Je suis les jambes qui frémissent, la tête qui se pose, le bras que l’on lance, la main que l’on retient. Je suis la plume et le papier, le verbe et l’action, je suis l’ange qui passe et le passant qui attend.
Je suis le lien que l’on tisse, le nœud que l’on délie. J’ai le cœur tendre et la dent dure, je suis l’aimant et le repoussant, l’amant survolté et la femme blessée. J’ai l’oisiveté des gens bien nés et la faim du mendiant. Je suis la promesse de l’aube et le jugement dernier. Je suis de toutes les saisons, fidèle au vent léger, rebelle au temps passé.
Bourgeons
le bourgeon nouveau me ravit
le vert des feuilles me nourrit
et soudain je resplendis
le renouveau se fait sentir
une nouvelle chance à ceuillir
d'autres joies à venir
un hiver à finir
goinfrons nous de ces plaisirs
chérissons ce que l'on voit grandir
ce que l'on sent vieillir
tant qu'il nous est donné de receuillir
possible d'offrir, offert d'en jouir
Pagaille
Y a comme une pagaille
Après le travail
Pour que ça s’en aille
Ce rythme infernal
Y a comme une urgence
Avant les vacances
Que ça recommence
Le temps de la danse
Y a des surenchères
Passés les hivers
Qui font l’été fier
Brûlant comme l’enfer
Y a comme un complot
Planté dans ton dos
Que tu seras moins beau
Même plus rigolo
Y a ce compte à rebours
Tous ces drôles de tours
Qui font que les jours
N’ont aucun retour
Y a comme un absent
C’est le temps présent
Qui s’enfuit dans le vent
Dès qu’on serre les dents
Méditerranée
J’suis pas cette Méditerranée qu’on m’avait enseignée
Celle qui reste bien rangée, qui évite le fracas, ne hausse pas la voix
J’suis pas du genre à éviter les vagues non désirées
Je suis de l’Atlantique. Je suis une romantique
Des temps pas si lointains mais encore incertains
J’ai le cœur qui flanche, le corps qui se casse
Si je tombe à genoux c’est que mon âme se noue
Chez moi y a des tempêtes qui brisent les fenêtres Et dans mes marées basses y a le vide qui menace
J’ai pas cette sagesse là de ces mers réputées Pour leur tranquillité ou leur fiabilité
Je ne sais pas caresser sans cesse le même rocher
Quand le temps change de couleur j’ai des envies d’ailleurs
J’suis pas cette méditerranée, de cette immensité de paisibilité
De celles au goût d’éternité que tant souhaitent admirer
Je ne suis qu’un tas de remous qui tient à peine debout
Pour calmer mes débords, parfois, pourtant je cherche aussi un port