poèsie en liberté

poèsie en liberté

Huis clos

Mon Père, j’ai pêché. Par amour et avec volupté. J’ai menti par omission et avec passion. Elle était si jeune et si belle. Si fragile et si volontaire et tellement vivante. Je l’ai aimée tendrement, patiemment, longtemps et follement. Ses yeux, son corps souple, doux et agile me foudroyaient. Sa bouche et ses lèvres charnues m’enivraient. Je me suis perdu dans ses cheveux, évanoui sous son sourire, oublié face à son désir, noyé dans son plaisir.

 

Je l’ai possédée un peu plus de jours en jours, de saisons et saisons, d’années en années, de rendez-vous en évasions. Je l’ai kidnappée de son plein gré pour quelques heures, quelques jours, immortelles parenthèses de nos deux destins incompatibles, de nos vie éternellement séparées.

 

Mon existence était bien trop rangée et construite. La sienne restait à dessiner. Je n’ai jamais eu la force de lui résister, de l’orienter vers d’autres bras ni de la quitter. Je n’ai fait que l’aimer en essayant de la protéger et de nous préserver. Je l’ai vue, fatiguée de nous, se marier puis devenir mère. Je l’ai imaginé libre et enfin heureuse.

 

Puis je l’ai croisé seule et désespérée, les yeux et le cœur vides. J’ai essayé de la recueillir sans pouvoir intervenir puis elle est repartie suivre sa route, cachant son chagrin, notre amour secret bien caché au creux de ses reins avec cette nouvelle douleur coulant dans ses veines.

 

Souvent je ferme les yeux et je la revois nue et intrépide étendue sur les draps trop blancs d‘une chambre d‘hôtel. Je revois ses jambes et ses bras tendus me réclamant une part d‘éternité que je ne pouvais lui accorder. A chacun de ses départs, vers de nouvelles errances, mon corps s‘est usé et mes genoux se sont brisés.

 

Ma femme m’a quitté il y a quelques années, elle aussi je l’ai beaucoup aimée mais quand je m’éveille en sueur c’est le front de cette autre et son odeur que je sens posés sur mon épaule. Je pressens la mort qui approche doucement et je voudrais qu’elle m’emporte pour m’en délivrer.

 

Me délivrer de n’avoir pas pu, de ne pas avoir voulu et d’être demeuré le seul à la sentir vivante. Mon Père est-il possible d’aimer ainsi deux personnes, deux corps, deux cœurs à la fois et de demeurer impuissant face au moindre choix ? Oui, moi je le pense et c’est bien deux croix que je porte en moi. Mais en avais-je le droit ?

 

Chaque dimanche après-midi, le repas terminé, je pars fleurir la tombe de mon épouse avec mon fils et mes petits-enfants. Je lui parle doucement comme avant. Le la sais à mon écoute. Je sais qu’elle avait deviné, qu’elle avait pardonné. Elle m’attend et j’irai prochainement la rejoindre dans le tombeau familial.

 

Mais qu’en est-il de ma douce maîtresse. A-t-elle enfin trouvé le bonheur et le repos ? Ses mains sont-elles enfin remplies de fleurs et son corps de nouveau parfumé du parfum d’un autre ? Qu'en est-t-il de cette mélancolie tenace qui la rendait si étrangement belle et perpétuellement incertaine. Elle est de ces fleurs sauvages, de ces coquelicots aux couleurs si vives, à l’allure si gracieuse et gaie que l’on ne saurait les cueillir de peur de les voir trop vite se flétrir.

 

Le silence fit enfin son entrée dans le confessionnal. Le vieil homme y avait déposé les coulisses de son existence et de sa vie perdue entre deux eaux, dans un flot de paroles ininterrompu. Il avait confié son âme à une âme supérieure, habilitée à les recevoir et doucement il se tourna pour ouvrir la porte et quitter ce lieu protégé et clos.

 

« Mon fils », lui répondit une voix jeune et assurée. « Vivez et partez en paix. Dieu aussi, vous a pardonné ».



16/03/2017
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