poèsie en liberté

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Déjeuner en famille

 

C’est sous une pluie normande que je poussai la porte de ce tout nouveau magasin. Ouvert depuis peu dans la rue principale, il m’avait été recommandé par bon nombre de mes amies. Je fus de suite séduite par l’étendue des étalages et la diversité des nuances et formes de vert qui s’offraient à ma vue. Ouvrir une boutique de plantes et herbes culinaires représentait un défi original que je cautionnais.

 

 Je saisis un petit panier d’osier mis à disposition de la clientèle, à l’entrée, et fis un premier tour de repérage. Fidèle à mes habitudes, je n’étais munie d’aucune liste et optai rapidement pour un choix totalement improvisé destiné à façonner mon repas du dimanche.

 

 Les enfants m’avaient réclamé un tartare de saumon en guise d’entrée. Je leur offrirai donc ce petit plaisir que je décidais d’agrémenter "d’herbes aux mamelles" pour ma fille – aux petits seins - et "d’herbe aux teigneux" pour mon fils – légèrement colérique.

 

 Pour le plat principal, je comptai bien épater ma belle-sœur avec un filet de lotte. Je saisis, non sans un certain amusement, quelques brins de "langue de vache" -pour elle - et "choux d’âne" pour mon intellectuel de frère. Ce doux mélange ne pouvant aboutir qu’à une mémorable sauce.

 

 Le plateau de fromages demeurerait très traditionnel et ne m’inspira aucun accompagnement complémentaire. Quant au dessert, j’avais décidé de l’acheter, ne me reconnaissant aucune compétence en la matière.

 

 En me dirigeant vers les caisses, je ne pus, cependant, résister à la promotion exceptionnelle dont semblaient bénéficier les "herbes à récurer". Enfin, en ce début du mois de mai je saisis deux gros bouquets de "muguet des bois" qui flattaient mes narines.

 

 C’est le panier plein mais le cœur léger que je rentrais à la maison me mettre à l’ouvrage. Il me restait deux heures devant moi. J’alignai mes mets, mes herbes et plantes, mes ustensiles et c’est en chantant que j’entamai mes préparatifs.

 

 Je mis le saumon, coupé en petits dés, à mariner dans de l’huile assaisonnée d’une poignée "d’herbe à mamelle" – pour Aurélie- et deux poignées "d’herbe aux teigneux", pour Arthur, notre petit dernier.

 

Dans le bouillon destiné à recevoir les filets de lotte, je coupai des bouts "de choux d’âne" – pour Jean-René – et me lâchai un peu sur "la langue de vache" – pour Amélie.

 

 Mon mari entra, tenant Arthur d’une main, son journal dans l’autre. Il prit un air surpris face à ma mine réjouie, mais ne fut pas long à reprendre sa place, dans le canapé.

 

Arthur, dépité de ne pouvoir embêter sa sœur absente, se jeta sur sa console pour tabasser des méchants.

 

 La porte ne tarda pas à s’ouvrir de nouveau sous l’impulsion d’Aurélie chargée de paquets multicolores de fringues négociées sur le marché. En guise de « bonjour », elle se borna à faire éclater une bulle de chewing-gum vert. Claquement auquel je répondis simplement en lui priant de mettre la table.

 

 Sa question fusa « combien sommes-nous ?». « 5 …. non 6 ! ». Mince, j’avais oublié la voisine - qui me servait également de femme de ménage – et que j’avais conviée. Mon regard se posa alors sur "l’herbe à récurer" que je sectionnai hâtivement sur ma marinade et mon bouillon.

 

 Le repas fut des plus enchanteurs et j’en goûtai chaque instant, demeurant attentive aux moindres effets que mes secrets de cuisine pourraient provoquer. Avant d’apporter le dessert, je ne résistai pas à l’envie de sortir savourer mon plaisir, en terrasse, au soleil.

 

 Mon retour fut salué d’une salve de compliments émanant de ma belle-sœur. « Exquis ce tartare …inoubliable le goût sucré salé de ta lotte … ». Je tournai alors le regard vers mon fils étonnamment calme après deux heures passées assis, les deux mains délicatement posées sur son petit ventre rond. Puis j’obliquai vers les tétons d’Aurélie incroyablement raidis et semblant désespérément à l’étroit dans son tee-shirt fluo.

 

 Ma contemplation fut stoppée net par l’intervention de mon frère, s’efforçant de compter une histoire drôle dont il maîtrisait fort mal le dénouement. Cette tentative fut, malgré lui, suivie d’un éclat de rire général ! Du coup, contrairement à son habitude, ma voisine ne se leva pas, sitôt le dessert achevé, pour faire la vaisselle, mais se contenta de rester assise.

 

 Un peu plus tard, je raccompagnai mes convives; encore enjoués; en leur offrant un bouquet de muguet des bois. Enfin, je confiai la vaisselle à l’Arthur-Martin dont le progrès m’avait dotée et, en plaçant le muguet restant au milieu de la table basse du salon où ma petite famille se reposait je repris ma plume.

 

 

 

 

 



14/02/2016
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