poèsie en liberté

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Insolation nocturne

Texte écrit dans le cadre d'un concours sur le thème du réchauffement climatique

 

Ca chauffait et c’était stupide de croire que ça puisse être autrement…

 

Ça chauffait parce que la journée avait été bien trop longue et le soleil toujours aussi cuisant. Ça  chauffait parce que le troisième verre de rhum que je venais d’engloutir n’avait pas réussi à m’apaiser. Mon cerveau frôlait la surchauffe et toi, forcément, tu n’avais rien vu, rien pressenti, rien calculé. Tu venais de nous perdre et j’étais sans nul doute la seule à le savoir.

 

C’était pourtant pleine d’espoir que j’avais accepté de te suivre cette fois encore sur ce bout d’île perdue au milieu de l’océan. De là, tu pourrais satisfaire ta passion pour la plongée sous- marine. Quant à moi, il me suffirait de me laisser porter par la beauté des lieux. Et c’est bien ce que je m’étais appliquée à faire durant ces derniers jours.

 

Ce matin même, tu t’étais levé de bonne heure pour savourer une dernière fois la découverte de fonds uniques et magiques. Une épopée qui te voyait immanquablement revenir vers moi les yeux brillant encore de la fièvre des profondeurs. Et si, bien souvent, les adjectifs te manquaient pour me faire partager une pareille richesse, moi c’était l’imagination qui me faisait défaut. Alors, attentive et aimante, j’attendais patiemment que s’écoule le flot de tes paroles.

 

Cependant ce matin tu es rentré bien plus tôt que prévu. Une tempête inattendue venait de détruire la plage et le club de plongée. A ta façon de jeter ta serviette sur le lit, je devais bien me douter que cette nouvelle était dévastatrice.

 

Cependant, il me fallut un peu de temps pour entendre ce que tu venais de dire et ce n’est qu’une heure plus tard, me rendant moi-même sur les lieux, que je mesurai l’étendue des dégâts. Il restait bien peu de choses à voir. Sur le sable traînaient des débris de planches en bois et des pans désarticulés de murs en bambou, derniers témoins d’un déjà lointain club de plongée. Face aux vagues conquérantes, le personnel de l’hôtel s’acharnait à amasser des sacs de toile remplis de sable censés former une digue improvisée.

 

C’était, me semblai-t-il, cause perdue, mais que deviendrait cet hôtel sur une île sans plage aménagée ni club de plongée ? Où donc étaient passés les autres touristes ? Comment pourrais-je encore me baigner au milieu de toute cette pagaille ? Et qu’allions-nous bien faire de cette maudite journée ?

 

A défaut d’eau de mer, il nous restait le soleil et la piscine et c’est avec un ton plutôt maternel que je te soufflais cette alternative. Maternel, oui, car tu étais bien plus jeune que moi. Une différence d'âge qui aurait pu être acceptable si nos sexes avaient été inverses. Chose rendue bien entendu impossible et que je balayais régulièrement d’un revers de manche me contentant de demeurer une femme, résolument féminine.

 

C’est sans aucune gaieté manifeste que tu repris ta serviette pour me suivre mollement vers notre nouvel havre de paix. Semblant comme réfractaire à toute discussion tu as ouvert un roman policier et j’ai entamé mon habituel farniente. Le charme était rompu mais notre acharnement à vouloir l’ignorer frôlait la perfection.

 

Ton regard bleu se levait de temps à autre pour se promener sur les baigneuses peuplant l’eau transparente et légèrement chlorée. J’avoue avoir oublié le titre de ton livre mais je me surpris à penser que ce dernier ne devait pas être plus captivant que nécessaire à en juger par la fréquence de tes égarements visuels.

 

Bien que muet et visiblement contrarié tu restais bien un homme. Un homme qui aimait les femmes et ça je pouvais difficilement te le reprocher. Alors, c’est avec le plus d’objectivité et de neutralité possible, que moi aussi je lorgnai les jeunes naïades. Je scrutai leurs corps délicieusement bronzés, le port de leurs poitrines, les muscles de leurs fessiers, la fermeté de leurs abdominaux, l’arrondi de leurs épaules. Bien sûr mon corps restait sportif et galbé. Bien sûr il y avait plus jeune, plus élégant et alléchant.

 

Je fermais les yeux et imaginais des meurtres ou mieux encore, ce qui m’éviterait de me salir les mains, de soudaines noyades causées par la piqûre de je ne sais quel insecte mutant non répertorié par le monde des sciences. Je visualisai leurs beaux visages défigurés, tordus de douleurs, leurs membres désarticulés gesticulant de façon anarchique, multipliant les éclats d’eau sur le rebord de la piscine. Les petits cris de sirène se changeaient en lentes lamentations. Les cheveux épars flottaient librement au bord de crânes fissurés de douleurs.

 

Puis ton regard rejoignait les lignes imprimées et mon rythme cardiaque se faisait plus harmonieux. Je rectifiai ma position et tentai même une levée rapide vers le bord de la piscine. Encore confiante en l’élégance de mon dos je l’exposai volontairement face tes jambes allongées.

 

Puis, déçue de n’avoir pu happer la moindre œillade de ta part, je m’élançai délicatement, dans l’eau couvrant tout mon corps de sa chaleur. Cette lutte je la connaissais bien.

 

Car il s’agissait bien là d’un combat à mener pour conserver ma place auprès de toi. Une bataille que je devinais tout aussi vaine que celle des employés de cet hôtel voués à disparaître peu à peu sous la montée des eaux. Cependant, et tout comme eux, dans l’urgence d’une quinzaine de vacances à achever, il fallait bien que je m’y attelle. Il en va ainsi parfois des grandes causes à défendre comme de nos propres défis. Le combat est le même. On le pressent inéluctable mais il faut le livrer. Par conviction, par nécessité ou par simple orgueil et tel était mon cas.

 

L’image des petits sacs entassés au bord de la plage me détourna un instant de mon plan de campagne. J’avais déjà entendu parler du réchauffement climatique de notre planète sans pour autant en avoir jamais été le témoin. Ce matin même, pourtant, l’image avait été assez signifiante pour demeurer ancrée dans mon cerveau pourtant en état de repos.

 

Parce que la plage n’existait plus et que notre seul recours avait été une piscine de bien moindre contenance. Parce que, privé de ton sport préféré, tu avais dû ressortir un polar de ton sac. Parce que, malgré leurs efforts concertés, le personnel de l’hôtel ne semblait soudain plus tout à fait disponible, ni tout à fait enjoué.

 

Sous les rayons brûlants d’un soleil de fin de matinée, il régnait comme une lueur exacerbée de fin du monde. Le rideau s’était brutalement refermé sur nos vacances. Même les cours d’aquagym de dix heures avaient été annulés. Les jeux de l’apéritif n’auraient sans doute pas lieu non plus faute de participants. Le buffet se préparait mais l’ambiance n’y était plus. L’après-midi s’annonçait mortelle et la fin du voyage, tant de fois repoussée, inéluctable.

 

Ecoutant néanmoins nos estomacs nous nous sommes lentement dirigés vers le restaurant. Nous prîmes soin de laisser nos serviettes sur les chaises longues. Le nombre de piscines sur cet hôtel n’était pas illimité et il nous faudrait faire face à un nouvel arrivage de touristes dès les premières heures de l’après sieste. Une fois avalée la dernière tranche de pastèque, tu suggéras d’aller nous reposer et je suivis tes pas.

 

La chambre n’avait rien d’exceptionnel mais elle était grande et climatisée. Elle avait été notre refuge dès les premiers jours. Témoin de notre nouvelle excitation à nous retrouver ainsi dans un univers inconnu à mille miles de notre terre natale. Spectateur muet de nos ébats amoureux, observateur discret de nos petites querelles. Je connaissais bien ce terrain et avais su le mettre à profit. J’étais plus à même de réveiller ton regard masculin dans cette atmosphère tamisée.

 

Cependant, ce jour-là, tu pris place rapidement sous le drap sans m’accorder la moindre attention et tu t’endormis. Depuis le début de cette journée nous avions dû échanger deux ou trois phrases pas plus. Tu n’étais pas parti à la plongée. Tu avais accepté de venir bouquiner auprès de la piscine. Tu n’avais pas eu très faim. Mais bon sang, que tu paraissais fatigué et pressé de t’absenter en douce dans notre lit d’amour !

 

Après toutes ces journées passées dans ce paradis à ne rien faire, moi, je n’étais guère épuisée. J’aurais pu alors consacrer mon temps à t’observer naïvement. A retracer les uns après les autres les traits de ton visage. A recenser les moindres petits coins de ta peau touchés par la sécheresse du climat. A essayer de donner une signification quelconque à chacune de tes mimiques faciales. Mes pensées étaient autres.

 

Me redressant doucement je jetai un coup d’œil sur nos valises. La mienne était presque prête pour le départ. La tienne, à peine remplie, attendait patiemment que l’heure soit venue. Peut-être avais-tu prévu de la commencer ce soir, notre dernier soir. Connaissant à l’avance le temps que cela allait te prendre, je l’espérais. Je me voyais assez mal, demain matin, assister à ton mécontentement face à ce rangement devenu urgent. Toi, tu vivais au jour le jour.

 

J’étais également surprise que tu n’aies pas pris le soin de me faire un topo sur le réchauffement climatique puisque tel semblait être l’enjeu de cette journée. Non, pas un mot. Il me faudrait me débrouiller seule… Alors, reprenant courage, je m’y abandonnais.

 

Il y avait eu l’ingéniosité des hommes puis la construction d’usines et la production de gaz nocifs. L’homme avait, semble-t-il, joué aux apprentis sorciers … et là, l’image d’un Mickey aux trop longues manches interrompit brusquement mon cheminement ! Mes connaissances dans ce domaine ne semblaient pas pouvoir dépasser le stade d’une souris à baguette se laissant débordée par les évènements.

 

Mais, était-ce ma faute à moi si toute cette pollution avait envahi notre environnement au point de ne pouvoir certains jours respirer librement dans des rues trop encombrées ? Etait-ce ma faute à moi si les océans gonflaient à mesure que se fissurait la banquise ? Etais-je directement responsable de ces pauvres îlots de terre voués à la noyade ou de ces prestigieux ours blancs en quête de terre ferme ? Que m’avaient donc caché mes parents ? Quel chapitre manquait à mon éducation ? Et à quoi servaient tous ces ingénieurs et hommes de pouvoir sensés nous diriger vers un monde meilleur ?

 

Et toi, tu ronflais tranquillement à présent.

J’avais hâte de partager ma petite culpabilité de consommateur plus ou moins bien averti avec toi, mais il me faudrait attendre. Bien entendu, je pouvais me rendre facilement au bord de ce qu’il restait de plage mais l’accès m’y serait sans doute interdit faute de chantier en cours et la chaleur était encore bien trop pesante pour être supportée sans ombre ni bouteille d’eau…

Et là, l’image terrifiante, d’un soleil vert sur un monde sans eau fit soudainement barrage à ma réflexion.

 

S’il existait, pour moi, un risque plus cruel que celui de manquer de terre, c’était bien celui de manquer d’eau. Sans doute parce que j’ai toujours eu soif ou peur d’être assoiffée. C’est une situation que j’ai souvent jugée on ne peut plus inconfortable. Face à une pénurie de liquide, le corps entier doit alors se résigner à saliver plus que de raison, l’esprit obnubilé par toutes les sources de fraîcheur possibles, l’âme torturée par d’improbables mirages.

 

Puisqu’il en était question, j’entamai quelques pas pour me servir un verre au robinet de la salle de bains. Ce petit déplacement d’air eut le faible, mais prévisible effet, de te voir changer de côté. Ton regard se tournant alors vers la fenêtre habillée de longs rideaux multicolores. De retour dans la chambre, je posai ma main sur ton roman et instinctivement entrepris de lire le résumé se trouvant au dos de la couverture. Quelques phrases courtes et bien tranchées comme doivent l’être, j’imagine, ceux des romans policiers. Il n’y avait ouvertement pas grand-chose que je puisse faire dans ces lieux sans toi.

 

Un brin fataliste, je me décidai enfin à m’allonger à tes côtés. Après tout et jusqu’à preuve du contraire, là était encore ma place. Mais pour combien de temps encore … Si notre différence d’âge ne plaidait pas en ma faveur, notre petit bonheur, lui, survivait depuis plus de deux ans.

 

Bien sûr un jour, cette pièce, cet hôtel allaient s’effacer de mon présent pour devenir souvenirs. Nos petites manies, nos réparties favorites allaient tomber dans l’oubli et ce coin de terre paradisiaque disparaître des cartes. Oui, un jour, ou l’autre. En attendant, j’aillais profiter de toi, de ton corps habile et de la chaleur ambiante encore quelques bonnes heures avant demain.

 

Tu te réveillas doucement et me lança un regard interrogatif.  Et non, moi je n’avais pas dormi, pas le temps, pas l’envie. Il était l’heure, en revanche, de rejoindre nos serviettes abandonnées et là encore, une simple phrase suffit à nous accorder. Cela allait de soi. Nous étions condamnés à la piscine, à la verdure, aux éclaboussures tout comme au lent déclin des rayons du soleil.

 

Notre conversation de l’après-midi ne fut guère plus fournie que celle du matin. Je tentai bien quelques approches, ironisant sur les nouvelles arrivées encore un brin blanchâtres, mais sans succès. Pour toi, et depuis le petit jour, la journée était foutue… Et mes états d’âme de frivole vacancière n’y changeraient rien !  Les flots avaient emporté tes derniers espoirs d’apercevoir une nouvelle tortue.

 

A défaut de pouvoir briller dans tes yeux en cette dernière journée, je tentai d’élargir mon public en recherchant l’attention d’autres corps masculins étalés au bord du bassin. C’est ainsi que je parcourus plusieurs longueurs sous l’eau moyennant une technique d’apnée que je maîtrisais assez bien. Séances sous-marines interrompues par de brèves remontées en surface, le nez en premier, les yeux brillants et rouges, la bouille entourée par des cheveux agglutinés. Puis comme épuisée, je m’accordai un temps de repos, les coudes sur le rebord, les jambes étendues frôlant la surface et la tête légèrement inclinée vers un improbable capteur d’images.

 

L’après-midi s’écoula ainsi sans bruit et sans saveur aucune.

 

Fidèles jusqu’au bout à nos habitudes locales, nous sommes ensuite allés nous répandre dans le jacuzzi. La soirée à peine entamée, ce dernier était loin d’afficher complet et par, je ne sais quel phénomène naturel, nos corps retrouvèrent spontanément leur proximité. Ravigotée par cet élan partagé, je me suis docilement lovée dans tes bras bien avant le repas.

 

Enfin, dressés dans nos beaux habits blancs de fin de journée, nous sortîmes rejoindre les autres touristes regroupés à l’heure convenue et convenable autour du bar. Bon nombre avait déjà pris une certaine avance sur nous ce qui rendait l’ambiance plus détendue. A cette heure de la journée la plage ne semblait plus manquer à qui que ce soit. Et demain arriverait bien assez tôt pour que nous ayons à nous en préoccuper sur le champ. Quant à moi, j’étais de nouveau fière et ravie de te tenir compagnie et plus aucunement persuadée que cela ne pourrait durer.

 

Assis un peu en retrait, nous nous laissions bercer par l’harmonie des lieux sans plus nous préoccuper du temps qui passait. Une fois mon premier verre épuisé, je te le tendis doucement pour que tu veilles à son renouvellement. Le chemin que tu avais à parcourir n’était pas si étendu ni tordu que cela pour que tu puisses si rapidement m’échapper des yeux. Et pourtant je mis un moment à reconnaître ta silhouette plantée et comme scotchée là aux côtés de je ne sais quel corps féminin… Car il s’agissait bien là d’une jeune femme, vêtue d’une toute petite jupe et armée de bien trop longues jambes !

 

Et c’est à ce moment précis que la chaleur accumulée au cours de cette longue journée a commencé à s’échapper, s’évacuant lentement mais irrévocablement à travers tous les pores de ma peau.

 

Quand tu es revenu vers moi avec un grand sourire qui ne m’était pas destiné. Quand tu m’as fait savoir que c’était Cathy là-bas avec toi. Qu’elle était Canadienne. Qu’elle faisait aussi de la plongée sous-marine. Qu’elle rentrait chez elle dès le lendemain. Que tu n’aurais très certainement aucune chance de la revoir. Mais que c’était, avec elle, quand même, que tu souhaitais partager cette ultime soirée… Et plus si affinités !

 

Alors là, oui, j’ai eu comme un gros coup de température, une soudaine ébullition, un signe d’échauffement profond, un bouillonnement interne, certes prévisible, mais incontrôlable.

 

Et comme il n’est pas dans ma nature de me donner en spectacle, je me suis contentée de tourner les talons que je ne portais pas et je suis retournée vers cette plage déserte qui n’existait plus.

 

Au fond, tu venais juste de prendre un peu d’avance sur notre futur.

 

Mais, cette belle construction que j’avais pris soin de bâtir jour après jour, cette douce illusion que tu m’avais encouragée à vivre, cette idylle que j’avais portée à bout de bras, toujours plus haut, comme pour la sauver des eaux… Ce roman-là, cette belle histoire, toi, en moins de cinq minutes et à peine quelques brides de phrases tu venais de l’anéantir.

 

Alors face à cette plage dévastée et désertée, je me fis une promesse, oui… Si l’être humain était capable de détruire notre paradis terrestre aussi facilement et innocemment que tu venais, toi, de priver notre relation d’un quelconque avenir, moi, promis, j’allais très prochainement me pencher sur les conséquences et éventuelles solutions liées à notre réchauffement climatique.

 



12/02/2016
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